Taxe au poids ou taxe au sac, quelle est la plus écologique ?
Article paru dans La Région.

DÉCHETS Les coûts d’élimination des déchets et le bilan environnemental sont favorables à la taxe au poids.
Sur les 300 communes vaudoises, seules les 13% ont opté pour la taxe au poids. Toutes les autres, pour des raisons de simplicité, ont choisi la taxe au sac pour financer l’élimination des ordures ménagères. Avec le recul, quel était le meilleur choix? Selon une étude privée, que les services officiels ne sont pas en mesure de contester, du moins à ce stade, la taxe au poids est sensiblement plus favorable au consommateur et à l’environnement. En publiant l’étude qu’elle a réalisée, la société OptiWaste, du Mont-sur-Lausanne, active dans l’optimisation de la gestion des déchets – elle commercialise des installations de récolte des déchets selon le principe de la taxe au poids – a jeté un pavé dans la mare. En effet, cette étude comparative des charges f inancières fait apparaître que la récolte des déchets par des conteneurs de type Molok ou de compacteurs dotés de balances est financièrement moins onéreuse.
En Suisse, on a un nombre impressionnant d’incinérateurs et ils ont besoin de matière pour fonctionner.
A cet avantage concret s’ajoutent les coûts environnementaux. Et là également, les données plaident clairement en faveur de la taxe au poids. Pour quelle raison alors Canton et communes ont-ils majoritairement opté pour la taxe au sac? Les auteurs de l’étude émettent cinq hypothèses principales: la taxe au poids exige des localités un investissement initial important; la taxe au sac ne nécessite que peu d’ajustements des infrastructures et aucune formation de personnel; publiées de manière brute, les statistiques des déchets ne font pas de distinction entre les systèmes de taxation. A ces trois motifs s’ajoutent encore la crainte de la complexité de la technologie «taxe au poids» et le «paradoxe des incinérateurs». Ces derniers ont exigé des investissements considérables et ont besoin d’un volume suffisant de déchets pour assurer leur rentabilité.
Des chiffres éloquents
L’étude d’OptiWaste dresse un bilan après sept ans d’implémentation des taxes, faisant suite à l’arrêt du Tribunal fédéral de 2011 qui concrétisait le principe de causalité sur la taxation des ordures ménagères. Aussi, elle se base sur des données officielles et prend en compte la quantité d’ordures ménagères incinérées, la charge financière pour la collectivité et les émissions de CO2. Ainsi, entre 2006 et 2020, les communes ayant opté pour la taxe au poids ont réduit de 30 à 40% leurs déchets incinérables par rapport à celles qui ont opté pour la taxe au sac. L’explication est simple: le citoyen taxé au poids trie beaucoup plus afin d’alléger son sac… et limiter la dépense. A l’inverse, les sacs taxés contiennent en moyenne 30% de contenu recyclable lors de l’incinération et, à la veille de la collecte, le citoyen est tenté de rentabiliser son sac en y fourrant des matières recyclables.
Des millions à économiser
La projection des paramètres financiers standards des communes «taxe au poids» sur les communes vaudoises «taxe au sac» laisse apparaître des différences importantes: les communes pourraient économiser 12 millions de francs par année en passant toutes à la taxe au poids et les citoyens verraient leurs dépenses réduites de 22 millions de francs! En effet, le coût global pour les citoyens (taxe au sac) s’est chiffré en 2020 à 62,3 millions de francs, alors qu’il aurait été réduit à 39,4 millions avec la taxe au poids. Pour les communes également, l’économie potentielle est sensible puisqu’elles auraient pu réduire les dépenses de 39,6 millions de francs à 27,2 millions. Précisons encore que ces projections ont été réalisées avec une population de 778 000 habitants.
Penser à l’environnement
Le critère des émissions de CO2 plaide en faveur de la taxe au poids. En effet, sauf rares exceptions, la taxe au sac exige le ramassage porte-à-porte, ou à tout le moins de fréquents arrêts vers des conteneurs, alors que pour la taxe au poids, le citoyen va au conteneur collectif, placé dans son quartier ou à la déchetterie, où il évacue aussi ses déchets recyclables. Pour ce qui est de l’élimination proprement dite des déchets, ceux provenant de la filière «taxe au poids» ne génèrent que les 60% des émissions de CO2 provoquées par l’incinération des autres. La performance de la taxe au poids réside dans la diminution de 80% des tournées de ramassage (-60 à -85% des émissions de CO2 selon la typologie de la commune), et la réduction de près de 40% des déchets incinérés. Comment expliquer que les autorités ne privilégient pas la taxe au poids? « En Suisse, on a un nombre impressionnant d’incinérateurs et ils ont besoin de matière pour fonctionner», commente Maximilian Schlaeppi, directeur adjoint d’OptiWaste.
Des coûts au poids et un certain embarras…
Porte-parole de la Direction générale de l’environnement (DGE), Denis Rychner relève que le Canton n’a pas été informé officiellement de l’étude d’OptiWaste: « Après une analyse rapide, il apparaît que cette étude présente des coûts généraux, mais qu’elle ne s’arrête pas sur l’indicateur du coût par tonne qui permet de comparer de manière précise les deux taxes.»
Le Canton dispose-t-il d’autres chiffres? Les données collectées annuellement au niveau communal sont celles demandées par la loi, soit les quantités collectées par catégories de déchets et leurs destinations. Le cadre légal n’oblige pas le Canton à collecter des informations sur les coûts liés à la collecte et au traitement des déchets.
Pourquoi l’Etat n’encourage-t-il pas les collectivités à passer à la taxe au poids? La gestion des déchets étant de compétence communale, cela demeure le choix des communes d’opter pour une taxe au sac ou au poids (en complément d’une taxe de base) tant que les principes du financement causal sont respectés. Le système de taxation doit impérativement figurer dans le règlement communal sur la gestion des déchets qui sert de base légale pour sa mise en œuvre.
«A tout point de vue, la taxe au poids est le système le plus avantageux»
CHAMBLON Le syndic Max Holzer se félicite du choix opéré par sa commune il y a plus de dix ans.
«Chez nous, personne ne voudrait revenir en arrière!» Dire que le syndic Max Holzer est partisan de la taxe au poids est un euphémisme. Et lorsqu’on évoque l’étude réalisée par OptiWaste, il jubile. Et pour cause, Chamblon a été l’une des premières communes de la région – Champvent, Ependes et Baulmes en font aussi partie – à opter pour la taxe au poids. Avec des résultats probants que l’élu commente, chiffres à l’appui. «C’est vrai qu’au départ, l’investissement est important. Pour nous, c’était 500 000 francs. Il faut dire que la configuration de la commune nous a imposé d’équiper sept quartiers avec des conteneurs enterrés. Car il faut que les gens puissent s’y rendre à pied. On ne voulait pas que ceux qui habitent Le Cosseau, au pied de la colline, prennent la voiture pour éliminer leur sac poubelle», explique le syndic. Et pour encourager les habitants à bien trier, chaque écopoint est équipé d’un conteneur pour les déchets de cuisine. «Les pelures de pommes de terre et autres légumes sont une peste pour les usines d’incinération. Nous offrons gratuitement les cornets pour ces déchets et les gens les déposent dans le conteneur adéquat», relève encore Max Holzer. Et d’ajouter: «A l’époque, nous avons eu droit à des reportages sur Arte et même TF1. A tout point de vue, la taxe au poids est le système le plus avantageux.»
Si on venait à changer le système, on serait lynchés!
Le prix du kilo des déchets incinérables vient de passer de 65 à 75 centimes. «Cela nous permet de couvrir les 90% des coûts. La taxe au poids, c’est du carburant et elle n’encourage pas les gens qui font mal le tri. Si on venait à changer le système, on serait lynchés!» Quant aux pannes, l’un des inconvénients relevé par le porte-parole de la DGE Denis Rychner, il n’y a plus lieu de s’inquiéter, selon Max Holzer: «C’est vrai qu’au début, il y en a eu, mais maintenant elles sont rares. La première génération de conteneurs utilisait la 2G. Passer à la nouvelle technologie nous a coûté moins de 3000 francs. Et lorsqu’un conteneur est plein, la carte permet d’aller à un conteneur voisin, dit de secours.»
Baulmes est passée de la vignette au poids
La commune de Baulmes peut parler des deux systèmes puisqu’elle les a expérimentés. Elle a d’abord pratiqué la taxe au sac, par l’apposition d’une vignette, avant de passer à la taxe au poids. «Avec la vignette, introduite bien avant l’existence des sacs taxés, nous sommes parvenus à réduire sensiblement la quantité de déchets incinérables. Et avec la taxe au poids, cette réduction a été amplifiée», témoigne le syndic Julien Cuérel. Contrairement à Chamblon, qui a opté pour des écopoints disséminés dans les quartiers, Baulmes a acquis une compacteuse qui est posée près de la salle des fêtes et de la gare. «Les gens ont apprécié le passage à la taxe au poids. En effet, la compacteuse est accessible 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7», relève l’édile. Qui précise: «La taxe au poids est plus juste. Elle bénéficie à ceux qui trient. Et ceux qui ne le font pas paient plus. Lorsque les gens mettaient du sagex dans un sac de 35 litres, ils payaient 2 francs, alors que lors de l’élimination, la facture tient compte du poids.» La Commune de Baulmes pratique des tarifs particulièrement bas en comparaison avec d’autres, soit 50 centimes le kilo et la taxe de base est fixée à 35 francs. «Nous sommes vraiment bon marché, mais nous n’arrivons pas à couvrir la totalité des frais. À 75 centimes le kilo, on serait dans le tir», analyse Julien Cuérel. Pourquoi la taxe au poids ne fait-elle pas l’objet d’un plus grand appui? «Le problème du Canton, c’est Tridel. C’est une usine d’incinération qu’il faut faire tourner. Il y a donc des blocages et pas vraiment la volonté de promouvoir d’autres solutions. On mettrait à mal la Strid et Tridel», explique le député baulméran. Car même si les déchets incinérables de Baulmes sont traités dans l’incinérateur lausannois, les quantités récoltées par l’application de la taxe au poids sont moindres. Selon Julien Cuérel, il reste beaucoup à faire dans ce domaine: «En Espagne par exemple, il y a plein de minidéchetteries. Avec cinq conteneurs dans un coin de rue, ils favorisent le tri. C’est souple à mettre en place et ça fonctionne. Mais chez nous, on ne fait pas confiance aux gens!»
«On fait toujours le bon choix»
Syndic de Champvent, Olivier Poncet est lui aussi un fervent partisan de la taxe au poids: «On fait toujours le bon choix, on est les meilleurs», lance-t-il. Au-delà de la boutade, il trouve que la formule est la plus équitable à tout point de vue, car elle favorise ceux qui trient. Sa commune a fait œuvre de pionnière dans ce domaine: «J’ai présenté notre formule, et la Strid la sienne (taxe au sac) lors d’une assemblée de syndics. Après, les communes ont fait leur choix. Tout le monde est content et je peux vous assurer qu’on ne changera pas.» Un compacteur, acquis pour quelque 68 000 francs à l’époque, est placé près du Battoir et un autre sur l’aire de stationnement d’Essert-sous-Champvent. Le compactage permet de réduire le nombre de transports, ce qui bénéficie à l’environnement. Une benne de 9 m3 permet de transporter 2,6 tonnes de déchets. Et la Commune envoie la facture en fin d’année. «Nous sommes très satisfaits. Nous n’avons jamais eu de remarques négatives. Nous avons une benne compactante sur la place de stationnement de la grande salle et elle est accessible 24 heures sur 24. Les voisins ne se sont jamais plaints du bruit», relève, pour sa part, Carole Glauser, syndique d’Ependes.
«Il est temps que le principe de transparence soit appliqué»
CHIFFRES Si OptiWaste semble avoir ouvert la boîte de Pandore, il reste que certaines données sont difficiles à trouver et à comparer. Le directeur de la Strid, à Yverdon, invite à la prudence dans l’analyse des chiffres présentés.
A entendre les syndics des communes nord-vaudoises qui ont adopté la taxe au poids, le système est celui qui répond au mieux aux besoins de la population et le moins onéreux pour les collectivités publiques (lire les pages suivantes). Et pourtant, seule une minorité de communes l’ont mis en œuvre. Sans doute parce que ce sont les grandes collectivités qui rythment le tempo. Mais selon Jean-Luc Schlaeppi, directeur d’OptiWaste, les mentalités changent: «Ce sont les syndics des communes taxe au poids qui en parlent avec leurs collègues. Le bouche à oreille a des effets concrets et nous sommes plus sollicités que par le passé.» Son fils Maximilian, qui a «ouvert la boîte de Pandore» avec l’étude évoquée ci-contre, souligne d’abord les difficultés rencontrées pour obtenir des données. Si, pour le canton de Vaud, cela n’a pas été trop compliqué, il souligne l’opacité qui règne dans d’autres cantons. A ces entraves s’ajoute la difficulté d’obtenir des données comparables. Ainsi, Jean-Paul Schindelholz, directeur de la Strid (en photo à g.), société en charge de la récolte des déchets dans le Nord vaudois, relève que les statistiques disponibles ne font pas de différence entre la taxe au sac et la taxe au poids, ce qui ne facilite pas les choses. Le directeur de la Strid conteste toutefois certains chiffres avancés par OptiWaste, notamment la diminution de la quantité de déchets par habitant dans les communes qui pratiquent la taxe au poids: «La diminution de production par habitant est en moyenne de 25% alors que dans l’étude cette différence est de 39%.» A l’appui de son assertion, il fournit les chiffres des exercices 2016-2020. Il n’en reste pas moins que 25% est une proportion non-négligeable. A l’instar de Sandro Rosselet, chef du Service des travaux et de l’environnement d’Yverdon-les-Bains, le directeur de la Strid met le doigt sur la différence ville-campagne: «Il faut se méfier de ces chiffres. Les communes qui ont la taxe au poids sont généralement des communes de 1000 habitants et moins. Si nous comparons des communes semblables avec la taxe au sac, la différence est encore moindre.» Et Jean-Paul Schindelholz d’ajouter un élément qui ne va pas faciliter le débat : «En considérant ces chiffres et en prenant une densité de déchets telle qu’on la trouve dans la littérature, nous obtenons, en prenant les chiffres moyens des deux dernières années, un coût pour la population de 40,4 millions avec la taxe au poids, et de 38,7 millions avec la taxe au sac. Mais, précision d’importance, l’achat des sacs n’est pas pris en compte de la même manière que dans l’étude. Et puis, à part le sac, il y a la taxe de base et les impôts. Il est temps que le principe de transparence soit appliqué à ce domaine.»